Encouragée par le ministre de l’Agriculture, plébiscitée par les consommateurs, la vente directe présente un certain nombre de difficultés que les agriculteurs doivent bien évaluer avant de se lancer.
La tendance était déjà là, mais à la faveur de la crise sanitaire et des confinements successifs, les circuits de vente directe de produits agricoles ont suscité un vrai engouement chez les consommateurs. Pour suivre le mouvement, le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, lançait, en début d’année, le site Internet fraisetlocal.fr , un annuaire géolocalisé de producteurs en vente directe.
Car il l’assure : la vente directe est synonyme de création de valeur et de complément de revenu pour l’agriculteur. Une aubaine à saisir, donc, pour le maillon agricole qui, en reprenant en main la commercialisation de ses produits, s’émancipera des intermédiaires, transformateurs et distributeurs, gourmands en marges. Dans les faits, malgré la fierté que peut apporter un tel projet pour les producteurs, les difficultés sont nombreuses.
On peut très facilement se « vautrer » en vente directe
, opine Jonathan Chabert, maraîcher en vente directe dans les Côtes-d’Armor et membre du bureau de la Confédération paysanne départementale. Je connais des personnes en circuits courts qui gagnent très bien leur vie et d’autres qui sont sous le seuil de pauvreté. Il n’y a pas de garantie que la vente directe soit plus rémunératrice.
Au ministère de l’Agriculture, de hauts fonctionnaires tirent les mêmes conclusions dans un récent rapport dédié aux produits locaux. La vente de produits locaux permet de stabiliser les revenus des producteurs impliqués, sans les améliorer néanmoins
, expliquent-ils. Si les données sont rares sur le sujet, ils estiment qu’il n’y a pas de différence significative de performance économique entre les exploitations qui ont un chiffre d’affaires majoritairement réalisé en circuit court de proximité et les autres exploitations agricoles de même production
.
La limite principale est le temps de travail. En vente directe, il faut combiner la production, parfois la transformation et surtout la commercialisation. Ce que l’on voit en maraîchage, c’est que pour s’assurer un revenu, il faut se lever à 4 heures du matin pour aller au marché, alors que la veille, on a fini la dernière commande à minuit
, illustre Jacques Mathé, économiste rural à l’Université de Poitiers.
Et qui dit commercialisation dit marketing, communication et storytelling. Car si les clients viennent à la ferme, c’est pour créer du lien, chercher du sens, une histoire. L’agriculteur doit alors se saisir du rôle de communicant, se raconter sur les réseaux sociaux, expliquer comment il produit, avoir toujours sous le coude une astuce pour une recette, etc. Une compétence qui n’est pas forcément innée et pour laquelle la formation manque dans l’enseignement agricole.
Trouver sa clientèle, la satisfaire et le fidéliser n’est pas non plus une mince affaire. Selon la localisation de la ferme, son accessibilité, la nature du projet va clairement différer. Parfois, il ne sera tout simplement pas réalisable.
Tout le monde n’a pas la zone de chalandise pour vivre de la vente à la ferme
, considère Françoise Morizot-Braud, du Centre d’étude et de ressources sur la diversification (CERD). En fonction du contexte, si l’exploitation se situe dans une zone dépeuplée par exemple, il faudra aller au-devant du consommateur, ce qui entraîne des coûts de transport supplémentaires. De même, ajoute la spécialiste, dans un secteur très concurrencé avec de nombreux producteurs déjà présents, il faudra également se déplacer un peu plus loin.
Source Ouest France 30 avril 2021